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Concurrence au Maroc

Droit et de la politique de la concurrence au Maroc et ailleurs

Augmentation du prix du pain : quant l'entente anticoncurrentielle devient un moyen de chantage!

Augmentation du prix du pain : quant l'entente anticoncurrentielle devient un moyen de chantage!

La Fédération Nationale des Boulangeries et Pâtisseries (FNBP) est montée dernièrement au créneau pour agiter le chiffon rouge d’une augmentation imminente des prix du pain. Cette menace n’a pas tardé à se concrétiser puisque les professionnels se sont réunis le 9 octobre 2013 à Casablanca en assemblée extraordinaire et ont décidé à « l’unanimité » d’appliquer une augmentation commune du prix du pain (200g) qui varie entre 10 et 30 centimes en fonction des régions (El Massae du 11 octobre 2013). Selon le président de la FNBP El houcine Azzaz, l’augmentation est irréversible et sera appliquée tôt ou tard, « que le gouvernement le veuille ou pas » (Matin 11 octobre 2013).

Les « Leit motiv » avancés par les professionnels pour justifier une telle augmentation sont :

  • Les problèmes que connait la profession, en particulier la question de l’informel, la facture de l’électricité qui engloutit l’essentiel des charges, le poid du fisc et de la CNSS,
  • La non activation du contrat programme signé avec le gouvernement
  • Une étude réalisée conjointement avec par le Ministère des Affaires Générales sous le gouvernement Abass Fassi et qui a aboutit à la conclusion selon laquelle le prix réel du pain et de 1.50 dh

Pour cantonner l’onde de choc qu’aurait produit l’application d’une telle augmentation décidée par les professionnels et son coût politique et social, il aura fallu l’intervention directe et personnelle du Chef du gouvernement qui, selon la presse, s’est rué pour téléphoner le président de la FNBP au cours de l’assemblée extraordinaire pour lui demander de suspendre temporairement l’application d’une telle décision avec une promesse de s’assoir autour d’une table pour discuter les problèmes de la profession et satisfaire leurs revendications.

Ces revendications peuvent paraître logiques voir même de « bonne guerre » pour certains ; d’autres peuvent considérés que la requête des professionnels est discutable d’un point de vue politique et consumériste vu son impact sur le pouvoir d’achat des consommateurs déjà fragilisé par les dernières augmentations (prix du carburant). Mais au delà de l’appréciation de l’opportunité de ces revendications, cette affaire est plus que sidérante, voir scandaleuse d’un point de vue concurrentiel à plus d’un titre :

En effet, s’il est tout à fait normal et légitime pour une profession d’exercer du lobbying sur le gouvernement pour satisfaire leurs revendications, il n’est pas du tout juridiquement acceptable d’utiliser des moyens illégaux pour le faire. Il semble que les professionnels du secteur ont oublié par inadvertance ou consciemment qu’il est strictement interdit dans le cadre d’une marché libre de se concerter de s’entendre ou de fixer en commun les prix d’un produit ou d’un service. Le fait de se réunir dans le cadre d’une assemblée extraordinaire pour décider conjointement d’augmenter les prix et fixer les proportions d’une telle augmentation (10 et 20 centimes) constitue dans la logique du droit de la concurrence une infraction qualifiée de « cartel » ou « entente anticoncurrentielle » réprimée par l’article 6 de la loi 06-99 qui dispose que :

« Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions expresses ou tacites, sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, notamment lorsqu'elles tendent à :….2 - faire obstacle à la formation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse …..»

L’action des professionnelles quoiqu‘elle relève du Lobying, mais elle est sanctionnable au titre du droit de la concurrence et passible de deux types de sanctions pénales :

- Si l’entreprise est une personne morale : entre 2 pour 100 à 5 pour 100 du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au Maroc au cours du dernier exercice clos (article 70) ;
- Pour les personne physique : emprisonnement de deux (2) mois à un (1) an et d'une amende de 10.000 à 500.000 dirhams (article 67)

Les professionnels boulangers risquent donc grand par leur action de décider en commun des prix du pain. Par ailleurs, si elles se saisissent ou sont saisies de la question, les autorités de concurrence n’éprouveront aucune difficulté juridique pour établir l’existence de cette entente puisque tous les faits la corroborent, y compris l’aveu des professionnels et éventuellement le pv de la réunion précitée.

D’ailleurs, si la question de l’impact des décisions des groupements professionnels sur la concurrence n’a été que légèrement effleurée par l’étude du conseil de la concurrence sur la concurrence dans les professions libérales réglementées, la jurisprudence des autorités de concurrence comparées en la matière est pléthorique à cet égard : décision de la commission européenne n°76-684 du 26 juillet 1976, Tribunal de première instance des communautés européennes T-513-93 du 30 mars 2000, décision de la commission européenne n° 8-2005 du 7 avril 1999 et celle n°96-438 du 5 juin 1996….

S’il est vrai que les règles du droit de la concurrence restent encore une matière « élitiste » et ne sont pas très bien connu par la communauté entrepreneuriale, mais au delà de l’argument juridique bateau selon lequel « nul n’est censé ignoré la loi », les professionnels du secteur de la boulangerie ne pourraient avancer un tel alibi pour deux raisons :

  • Dans ses déclarations, le président de la FNBP se fonde, paradoxalement, pour justifier ladite augmentation concertée sur le principe de la liberté des prix consacré par la loi 06-99 : « les tentatives du gouvernement actuel pour empêcher les professionnels d’actualiser les prix du pain ne sont pas conformes avec la loi sur la liberté des prix et la concurrence qui affirme que le prix du pain est libre » ( al massae 11 octobre 2013. Seulement, le déclarant oublie que si cette loi décrete la liberté des prix dans son article 2, elle interdit aux professionnels de s’entendre directement ou indirectement sur les prix (article 6)
  • La FNBP connaît très bien le contenu de la loi 06-99 du fait que les accrods d’homologation qui ont été signés avec les pouvoirs publics pour maintenir les prix du pain au seuil de 1.20 se fonde justement sur l’article 5 de cette loi qui encadre la question des « accords d’homologation des prix.

Ce qui est plus surprenant dans cette histoire, c’est que les pouvoirs publics ont joué le jeu et se sont laissés influencés par la pression des professionnels. Au lieu de se saisir de cette affaire à bras le corps (puisqu’il est la vraie autorité de concurrence), ou du moins saisir le conseil de la concurrence pour déclencher une instruction et établir cette infraction si caractérisée, le chef du gouvernement a préféré céder à sa fibre politicienne et jouer aux compromis dans une question qui relève du droit public économique puisque les ententes sont considérés comme une délinquance économique. Se faisant, le chef du gouvernement n’a-t-il pas cautionné cette décision illégale et illégitime de la FNBP ? N’encourage t-il pas par son comportement les autres organisations professionnels de recourir à ce mécanisme pourtant illégal pour tordre le bras du gouvernement afin d’obtenir des acquis professionnels ? ne s’agit-il pas du summum de l’absurdité et du ridicule juridique dans un Etat qui se veut un « Etat de droit », car si ridicule ne tue pas dans le domaine politique, il aura des effets juridiquement et économiquement préjudiciables, surtout sur les consommateurs !

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