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Concurrence au Maroc

Droit et de la politique de la concurrence au Maroc et ailleurs

Le marché du ciment : quelques aspects des dysfonctionnements concurrentiels

La vie économique de cette semaine (du 02 au 08 novembre 2012) a publié un article intéressant sur le prix du ciment au Maroc et la marge des différents intervenants dans le secteur cimentier au Maroc : fabricants, grossistes et distributeurs.

Cet article commente une récente étude commanditée par le Conseil de la Concurrence et réalisée par le cabinet d’études SIS consulting sur la concurrentiabilité du secteur cimentier au Maroc.

Le marché du ciment : quelques aspects des dysfonctionnements concurrentiels

L’idée majeure qui ressort de cet article est la suivante : Les marges prélevées par les différents intervenants du secteur constituent 60% du prix de vente du ciment. Constat frappant et décevant à la fois vu le caractère sensible de cette matière première qui constitue un intrant indispensable dans le secteur immobilier, surtout que l’Etat fait de la lutte contre l’habitat insalubre et de la facilitation d’accès des marocains « lambda » à un logement décent un objectif prioritaire. Cet objectif risque d’être fragilisé par le renchérissement de cette matière, un renchérissement, tel que ça ressort de l’étude précitée, est due principalement aux marges exorbitantes que prélèvent les différents intervenants.

Revenant à l’article, ce dernier distingue au niveau des marges commerciales entre deux situations :

  • L’hypothèse où la vente est opérée auprès de différentes usines des fabricants (cimentiers). Dans ce cas, la marge commerciale pratiquée par les cimentiers est de l’ordre de 29% du prix sortie usine (toujours selon les estimations du cabinet). Autrement dit, sur un prix de vente de 800dh à la tonne vendu usine, les cimentiers en moyenne perçoivent 180dh de marge, toute charge défalquée), sachant par ailleurs que l’énergie constitue 40% du coût de revient du ciment.

  • L’hypothèse où la vente transite par les circuits de distribution, à savoir les grossistes et détaillants. Dans ce cas, la marge des grossistes (10 à 15%) et celle des détaillants (10 à 15%) vient grever sur le prix de vente public, soit entre 20 et 30% de plus que les marges des fabricants.

Bref, le prix du ciment vendu détails peut s’apprécier d’environ 30-40% rien qu’en transitant pas les intermédiaires pour passer de 800 dh à 1100 dh.

Ces éléments nous interpellent au moins à trois niveaux :

  1. Par rapport à la question des marges commerciales : Les deux hypothèses ci-haut analysées ont beaucoup plus une portée pédagogique que pratique, puisque les consommateurs n’ont pas en réalité un choix entre s’approvisionner directement de l’usine ou acheter auprès des distributeurs pour réaliser des gains en termes de marges. Dans les faits, les consommateurs directes ou indirectes sont obligés de s’approvisionner directement chez les distributeurs et donc paient le surcout (60% de marges) correspondant à l’intégration des marges des différents intervenants (grossistes et détaillants) en sus des marges des fabricants.

Dans la pratique, l’achat auprès des usines directement nécessite l’ouverture de comptes clients auprès de celles ci avec les conditions exigées par les cimentiers en termes de garanties de solvabilités et d’historique du chiffre d’affaires réalisées, ce qui exclut de facto les consommateurs Lambda ou même les professionnels du secteur immobilier. Cela est d’autant plus vrai que, souvent les cimentiers n’utilisent pas toute leur capacité de production, il en résulte une limitation artificielle de l’offre et la création d’une rareté artificielle justifiant les prix élevés. Devant cette politique malthusienne volontariste, les usines n’arrivent pas toujours à satisfaire tous les besoins de leur clientèle, même ses clients grossistes et donc on voit mal comment, elles vont pouvoir satisfaire la demande des consommateurs normaux.

  1. Même si les marges des distributeurs semblent être relativement élevées (10-15%), c’est à mon avis les marges des industriels qui nous interpellent (30%). Ces marges nous semblent exagérées et dénotent d’un dysfonctionnement concurrentiel sur ce marché. Sans reprendre le modèle de la concurrence pure et parfais sous risque d’être taxé d’utopiste, les prix, dans un schéma de marché concurrentiel, auront tendance, sous impulsions des pressions concurrentielles entre les offres des différentes opérateurs, de baisser avec un tassement naturel et conséquent de leur marge commerciale et une amélioration de la qualité, de la productivité et de l’innovation. Or, le marché du ciment, semble-t-il, est récalcitrant à la dynamique vertueuse naturelle engendrée par la concurrence.

Traditionnellement, l’existence de marges élevées, bien qu’en soit n’est pas suffisant, mais conjuguées à d’autre facteurs (stagnation des parts de marchés et autres...) appelés en droit de la concurrence « un faisceau d’indices concordants » dénote de la présence d’une anomalie concurrentielle dans le secteur.

En effet, Le secteur du ciment a toujours constitué pour les autorités de concurrence un cas d’école et un terrain fertile de l’existence de pratiques anticoncurrentielle, particulièrement les cartels de toutes sortes (ententes sur les prix, sur la répartition géographique du marché…). Plusieurs exemples peuvent être cités à cet égard (Décision n° 07-D-08 du 12 mars 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse, Enquête menée par la commission européenne, référence: IP/10/1696 ). Cette suspicion n’est donc pas fortuite, elle est, en effet, justifiée par la structure même du marché du ciment et de ses caractéristiques. Au Maroc, comme ailleurs, le marché du ciment est exposé à la tentation de cartellisation pour les raisons qui suivent :

  • Le ciment est un produit homogène qui dispose des mêmes caractéristiques au niveau de sa composition et de son processus de fabrication. Cette homogénéité facilite par conséquent l’entente entre les opérateurs du fait que la nature même du produit facile l’entente entre opérateur, chose qui devient très difficile face à un produit caractérisé par une grande diversification ou exposé à un fort mouvement d’innovation technologique (produits de télécommunications par exemple)

  • L’existence de barrière d’accès au marché du ciment : L’investissement dans le secteur du ciment est très capitalistique. Il en résulte que les opérateurs qui peuvent se permettre de payer un ticket d’accès à ce marché sont peu nombreux. Cela est d’autant plus vrai que le retour sur investissement dans le secteur est lent (en moyenne 5-8 ans). A cela, il faut ajouter d’autres barrières, notamment naturel, puisque l’implantation d’une usine de fabrication ne relève pas totalement de la liberté de décision des opérateurs, mais dépendent d’autre facteurs exogènes, notamment l’existence de gisements naturelles de bonne qualité (calcaire, craie, argile..) à proximité de l’usine, chose qui n’est pas toujours facile à satisfaire ;

  • Un niveau de concentration élevé du secteur : l’accès au marché du ciment étant limité en raison de l’existence de plusieurs barrières d’entrée, le nombre d’opérateurs qui agissent dans le secteur est par conséquent limité. Il en résulte naturellement un nombre réduit d’opérateurs et donc un niveau élevé de concentration sur ce marché. Au Maroc, le marché du ciment est caractérisé par la présence de cinq grands groupes qui se partagent le marché : Lafarge Ciments, Holcim Maroc, Asment Temara, Ciments du Maroc et dernièrement CIMAT qui appartient au groupe Adohha. Or, Mise à part le groupe CIMAT dont l’actionnariat est marocain, les autres groupes appartiennent à des groupes internationaux présents sur tout le globe et se connaissent mutuellement très bien. Justement, c’est au sein des structures de marchés oligopolistiques qu’émergent les ententes expresses et tacites puisqu’il est plus facile de s’entendre avec un nombre réduit d’opérateurs (coûts des transaction) ,surtout lorsqu’ils ont intérêt à coopérer et à coordonner leur action pour éviter toute guerre des prix qui résulterait d’un processus de concurrence acharnée.

  • Le caractère pondéreux du ciment : Autre caractéristique qui facilite la cartellisation dans le secteur, c'est que le ciment est un produit pondéreux et donc difficilement transportable. En effet, le commerce du ciment n’a pas une dimension nationale, mais limité à une zone de chalandise fixée en moyenne à 100 km. Au delà de cette distance, le commerce du ciment perd en rentabilité puisque les coûts de transport deviennent prohibitifs et grèvent son prix de revient. Il en résulte que le nombre total d’opérateurs au niveau national ne reflète pas la réalité économique du marché et doit être pondéré par les zones de chalandises des usines puisque ces derniers peuvent se trouver dans des situations de monopole (Exemple : usine Holcim de Oujda) ou de duopole (usines de Holcim à Fès et de Lafarj à Meknès) dans leur zones respectives.

Tous ces facteurs conduisent à un seul constat c’est que la structure du marché du ciment au Maroc n’est pas concurrentielle, ce qui justifient en partie les marges élevées perçues par les opérateurs du secteur et qui constituent une conséquence logique de leur pouvoir de marché qui ne cesse d’augmenter. Deux explications sont plausibles : soit que ce pouvoir résulte d’une situation d’entente explicite entre les opérateurs, chose que les investigations n’ont pas encore démontrée. Cela ne blanchit pas pour autant les opérateurs, mais peut être expliqué simplement par l’inefficacité du système de régulation concurrentielle et la vigilence des opérateurs qui sont rodés et préparés davance à ce type d'affaire ; soit qu’il s’agit d’une entente tacite, j’entends par là, d’un parallélisme de comportement qui résulte de la structure elle-même du marché et non pas d'un accord entre les opérateurs. Que ce soit l’une ou l’autre raison, les autorités de concurrence et les pouvoirs publics doivent agir pour encadre et limiter ce pouvoir de marché car c’est le consommateur qui en souffre en final.

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