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Concurrence au Maroc

Droit et de la politique de la concurrence au Maroc et ailleurs

Ententes et corruption dans les marchés publics : liens et effets

J'ai le plaisir de partager avec vous une vidéo de l'émission complément d'enquête qui a été récemment diffusée sur la chaîne France 2. Cette vidéo traite d'une question très sensible liée aux pratiques non orthodoxes qui émergent en matière de marchés publics, en particulier les pratiques de cartels souvent accompagnées d’actes de corruption. Elle raconte l’histoire vrai d’un repentis qui n’est rien d’autre qu’un ancien membre d’un cartel constitué entre des entreprises de BTP qui se répartissait les marchés lancées par la collectivité publique de Mouzillon en France. L’intérêt de cette histoire dont le contexte et les contours sont parfaitement transposable au Maroc, c’est qu’elle permet de dessiner le portrait robot des ententes dans les marchés publics. A travers le reportage, le repenti décortique le processus de fonctionnement du cartel auquel il faisait parti. Il présente même les lieux ou se tenait les « tables rondes » entre les membres du cartels pour décider des montants des soumissions et des adjudicataires ainsi que les procédés qu’il qualifiait de « mafieux » pour se partager les marchés lancés, soit à travers des offres « bidons » de couverture ou des marchés pris à tour de rôle comme en va le voir dans les développements qui suivent :

Confession d'un repentis

Commentaires :

Ce sujet nous interpelle à plusieurs niveaux :

1 - La commande publique joue un rôle économique important et pèse par ses effets économiques, mais également sociales (emploi) dans l’économie des pays. Ainsi, les chiffres de l’OCDE montrent que la fraction des marchés publics dans les économies des pays varie entre 15 et 20% de leur produit intérieur brut (PIB). Au Maroc et selon les chiffres officiels, les marchés publics occupent une place économique prépondérante. Ainsi, en 2007, le montant total des marchés publics a représenté près de 100 milliards de dirhams, soit l’équivalent de 16% du PIB. Par ailleurs, les entreprises du bâtiment et travaux publics réalisent 70% de leur chiffre d’affaires dans le cadre des marchés publics et pour l’ingénierie, ce chiffre s’élève à 80%.

2- L’objectif premier de toute politique de passation de marchés est de promouvoir l’efficience au niveau de la commande publique, C’est-à-dire la sélection du fournisseur proposant le prix le plus bas ou, plus généralement, le meilleur rapport qualité-prix. Cela rejoint parfaitement la logique du droit et de la politique de la concurrence qui prônent l’efficacité économique comme objectif. Il est donc important que la procédure de marché public ne soit pas entachée de pratiques comme les ententes qui bafouent cet esprit d’efficacité économique.

3- les pratiques d’entente anticoncurrentielles sont néfastes car provoquent une majoration artificielle du prix payé par l’administration pour acheter des biens et des services. Au final les prix facturés au secteur public sont surestimés, ce qui confère un rente anticoncurrentielle aux entreprises participantes à ces pratiques car celles-ci confisquent le surplus des consommateurs du fait de leur ententes. Ces pratiques ont donc un effet direct et immédiat sur les dépenses publiques et, partant, sur les ressources des contribuables.

4- L’expérience des autorités de concurrence comparées a montré que les marchés publics constituent un terrain fertile de l’émergence des pratiques anticoncurrentielles, particuliérement les ententes anticoncurrentielles. C’est ce qui fait que les ententes dans la commande public constituent à coté des concentrations économiques le gros lot du travail de la plupart des autorités de concurrence.

Ceci peut s’expliquer par la structure rigide de la demande dans les marchés publics. en effet et contrairement à l’acte d’achat d’un agent économique normal qui est plus libre dans son choix, les acheteurs publics sont souvent soumis, pour des considérations de gouvernance, à des règles formalistes rigides qui guident leur choix en termes de procédure de passation à suivre, de délai et de publicité… Or, certaines de ces conditions peuvent parfois produire des effets pervers en limitant le choix de l’administration. Ainsi, en imposant par exemple des conditions draconiennes dans un règlement de consultation (Exiger des références, requérir une assises financière importante …) peut exclure d’emblée et de facto plusieurs entreprises qui constituent des concurrents potentiels et limiter par conséquent le choix de l’administration à une poignée d’entreprises qui peuvent être incitées à s’entendre en raison de leur nombre limité qui rend facile l’organisation d’une entente.

5- Les ententes dans les marchés publics peuvent prendre plusieurs formes : L’ingéniosité entrepreneuriale est illimitée, néanmoins on peut recenser les formes d’ententes suivantes :

  • Une simple fixation du prix : l’adjudicataire et l’offre gagnante sont choisis d’avance. Une ou plusieurs entreprises qui, en d’autres circonstances, soumissionneraient probablement, s’en abstiennent ou retirent l’offre qu’elles viennent de présenter pour que l’offre du gagnant désigné soit retenue. Une fois le marché adjugé, le gagnant peut dédommager ses complices par des paiements en numéraire ou des contrats de sous-traitance ;

  • Les accords de partage du marché:. Les clients sont répartis par catégorie ou par région et les concurrents acceptent de présenter des offres plus élevées dans les marchés régionaux attribués à d’autres entreprises. Ce système peut être complété par un mécanisme de partage des rentes.

  • Le « partage des dépouilles »: L’adjudicataire accepte d’indemniser les perdants des coûts engagés pour présenter leurs soumissions. Une variante de cette approche consiste pour l’adjudicataire à sous-traiter une partie des travaux aux soumissionnaires non retenus ; là encore pour partager une partie des rentes.

Pour se faire, les techniques déployées peuvent prendre plusieurs formes :

  • Offres complémentaires : On parle d’offres complémentaires dites également « de complaisance » ou « de camouflage » lorsque certaines entreprises soumettent des offres trop élevées pour être retenues ou des offres qui semblent compétitives en termes de prix mais sont en réalité inacceptables en raison de certaines clauses hors prix qu’elles comportent. Ces offres-là ne visent pas à être retenues et servent uniquement à donner l’impression que l’entreprise veut réellement participer.

  • Rotation des offres: Tous les participants à l’entente soumettent des offres à chaque fois mais un gagnant est désigné à tour de rôle.

  • Sous-traitance: L’objet des accords de sous-traitance est que les soumissionnaires ayant accepté de s’abstenir ou de soumettre une offre vouée à être rejetée se voient souvent attribuer des contrats de sous-traitance ou de fourniture par l’adjudicataire.

6- Ententes riment dans les marchés publics avec la corruption : la corruption dans les marchés publics constitue souvent la sœur jumelle d’une entente anticoncurrentielle dans un marché public du fait que la corruption est souvent utilisée pour protéger une entente en place. En effet, l'entente est un simulacre de concurrence qui vise à tromper le maitre d’ouvrage de l’existence d’une rivalité et de s’accaparer d’un surprix et donc d’une rente indues.

Ainsi, les ententes autorisant la surfacturation nécessitent souvent la passivité ou la complicité active des agents administratifs qui sont capables de détecter les ententes ou tout du moins les subodorent. Cet inertie et passivité est souvent compensée par un échange de faveurs allant du pantouflage ou de l'embauche de l'un de ses proches aux avantages en nature (invitations luxueuses, véhicule mis à disposition, cadeaux) en passant par les pots-de-vin en argent liquide.

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M
Sur la question, l'approche prônée par la Commission de la concurrence sud-africaine me parait assez séduisante puisqu'elle mène une stratégie privilégiant ( la sanction des soumissions concertées dans de grands marchés publics étant donné que l' investissement public est le premier moteur de la stratégie de croissance économique et de développement de l‟Afrique du Sud) .
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B
désolé pour le retard Monsieur, il faut dire que je ne maîtrise pas encore parfaitement la gestion des commentaires sur la plateforme overblog. Revenant à notre sujet, je n'est pas vraiment saisi la question de hierarchisation et de la sous hiérarchisation. ?je vous saurais gré de bien vouloir étaler davantage votre idée afin que je puisse interagir sur la question
H
Merci pour le commentaire. Vous avez raison, les marchés publics constituent un levier important de croissance économique. Comme je l'ai dit au niveau de mon billet, la commande publique représente en moyenne entre 15 et 20% du PIB de chaque pays. Au Maroc, c'est environ 20% (chiffre officielle de la trésorerie du Royaume). Pour ce qui est de la solution prônée par l'autorité de concurrence sud africaine, il faut reconnaitre qu'elle n'est pas révolutionnaire. En effet, la même disposition existe dans la loi 06-99 sur la liberté des prix et la concurrence dans son article 6 qui interdit toutes les formes d'ententes ou d'actions concertées. Seulement la difficulté réside d'une part dans la mise en œuvre de cette disposition en raison des défaillances et de l'inefficience du régime de régulation concurrentielle au Maroc caractérisé par la multiplicité des intervenants et de l'éclatement des responsabilités, et d'autre part, de la nature même des actions concertées, notamment dans le domaine des marchés publics, qui sont difficilement détectables, puisque n'oublions pas que ces pratiques sont des pratiques sournoises et secrètes et se passent dans la clandestinité.
B
félicitation pour le blog et bonne continuation
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